Charles-Antoine Coypel a-t-il inventé le hip-hop?

par Véronique Baudoüin, avec Samira Sy

Lancée sur le ton de la plaisanterie, cette question peut paraître saugrenue… mais après avoir parlé avec Samira Sy, aka la danseuse Dyams, figure incontournable et légendaire du hip hop nancéien, on pourrait presque le penser ! Nous lui avons demandé de nous expliquer quelle influence avait l’art sur son travail, quelle place occupaient les musées dans sa vie et surtout pour quelle raison elle avait choisi comme « décor » de sa performance dansée lors de la Nocturne étudiante 2023, La Destruction du palais d’Armide, de Charles Antoine Coypel.

Armide, c'est moi !

« Je suis venue souvent au musée des Beaux-Arts, parce que j’ai fait de l’histoire de l’art au lycée, avec une option Arts plastiques. Je pratique toujours le dessin, pour moi c’est une pratique régulière, comme la danse et j’ai besoin de passer de l’un à l’autre. Quand je suis venue en repérage, j’ai été tout de suite inspirée par les deux tableaux de ruines (NDLR : Les deux Vues de Coccorante, entrées dans les collections du musée cette année). Ce n’est pas que j’aime particulièrement le XVIIIe siècle ! Mais j’y ai vu ma vie de danseuse : des bâtiments en cours de construction ou de destruction, des personnages qui apparaissent ou disparaissent, la lumière, comme sur une scène, surtout avec l’ange installé sur le mur du fond au milieu. Pour moi, ça reflétait mon état d’esprit, à la veille de mes 40 ans, quand je me demandais si j’étais au début ou à la fin de ma construction. Et puis quand j’ai vu l’autre toile, avec la sorcière Armide, c’est comme si je me voyais tout à coup, une femme au milieu de la guerre dans ce palais qui explose, comme une représentation de tout ce que tu vis quand tu danses. Tu dois toujours produire de nouvelles choses, tu dois toujours surveiller les nouvelles techniques, les propositions de nouveaux danseurs. Tu te remets en question, tu détruits et tu reconstruits ton travail. Tu sais qu’il peut en sortir du positif. Et puis dans le tableau, je vois partout la dualité: les anges et les démons, la colère et la peur, les bons et les mauvais. Armide, c’est moi ! Mais parfois je me sens aussi dragon ! La sorcière tient une baguette, comme un chef d’orchestre, c’est elle qui dirige. Et dans la vie, je suis « la boss », j’ai un leadership naturel, qui fait de moi « l’alpha », la cheffe de meute, dans mon groupe, ou avec mes ados, comme animatrice. Pourtant ce n’était pas gagné, et plus jeune j’étais plutôt introvertie, mais la danse m’a donné beaucoup de confiance en moi, la reconnaissance de ma place, de ma capacité à occuper cette place. "

Détruire, pour mieux reconstruire...

Armide, elle est très humaine, mais elle n’est pas particulièrement féminine, au moins pas dans un sens sexy ou séducteur. J’ai toujours été un peu garçon manqué, d’ailleurs on a tout pensé de moi – fille, garçon, lesbienne ?  Ici pour une fois ce sont les hommes qui sont nus, et avec leurs cheveux longs et leurs postures cambrées, il y a une certaine ambiguïté. Le dragon, pour moi, c’est l’ami fidèle, celui qui calme, qui apaise, celui sur qui Armide peut s’appuyer, comme moi avec Dylan, mon élève et mon partenaire de danse. Armide est en colère, mais surtout elle l’exprime avec force, comme moi : je dis toujours ce que je pense, et je ne crois pas que ce soit un défaut, au contraire. Quand on travaille avec moi, on sait qu’il n’y aura pas de double discours, parce que je dis les choses. Pour moi, Armide détruit pour mieux reconstruire, en plus solide. Chaque fois que j’ai trébuché, je suis devenue plus forte, et ce n’est pas fini. Je continue à me bagarrer. Au sens propre comme au figuré, j’ai même commencé la boxe thaïe ! Le monde du hip hop, c’est un monde où on se bat beaucoup, dans les battle par exemple, mais aussi parce que pour tous, il y a la notion de se surpasser, la nécessité de ne pas perdre sa place, il faut tenir, résister, persister. Mais sinon, on s’ennuie ! Moi j’ai besoin de vibrer, et de chercher l’inspiration dans plein de choses : dans le dessin, dans l’art. Dans les tableaux ici, je trouve des gestes, des postures, des mouvements. Je dessine, ça m’aide aussi. Je les regarde avec la conscience du corps, du mouvement des personnages, qui pourrait devenir un mouvement de danse.

Transmettre à tout prix

Et puis je transmets. Pour moi, c’est l’essentiel : laisser une marque, c’est comme un patrimoine génétique, la transmission aux élèves. Et savoir que des gens trouvent leur voie grâce à toi, c’est cool. Quand je viens ici, que je suis invitée à performer dans les salles, je suis heureuse de voir que rien n’est figé, que je participe à montrer une autre vision, auprès de jeunes qui ne seraient jamais entrés ici et qui ressortent en se disant que finalement c’est bien, que c’est incroyable toutes ces œuvres, que c’est un nouveau champ libre à découvrir. La danse apporte une perception complètement différente et le hip hop c’est aussi une forme de médiation, c’est une mise en relation constante entre la musique, les graffeurs plus souvent, mais le musée aussi ! Mes enfants ont maintenant très envie de venir au musée, leur regard a changé complètement depuis ma performance. »

Et pour écouter Samira commenter les images de sa performance au musée lors de la Nocturne étudiante d’avril 2023, rendez-vous sur le site des Rencontres urbaines de Nancy ici.