« On me voit, on me voit plus…», des repeints trompeurs
13/02/2024
Lors de la restauration de ses tableaux, le Musée lorrain est parfois confronté à la découverte de repeints. Lorsqu’il ne s’agit pas d’un repentir de l’artiste ou d’une simple opération de restauration rendue nécessaire par l’état de la toile, ceux-ci peuvent avoir pour but de venir modifier le sens de l’œuvre, qu’il s’agisse d’un retrait ou d’un ajout. Cas d’école avec trois exemples :
Tel père, tel fils
En 1981, le musée fait l’acquisition de deux grands portraits en pied, provenant peut-être des collections du comte de Paris. Le premier représente Claude de Lorraine, 1er duc de Guise, vêtu d’un habit blanc et d’un manteau noir doublé d’hermine. Il porte son épée en bandoulière et, autour du cou, le collier de l’ordre de Saint-Michel. Sur la colonne à gauche de la toile est inscrit en lettres dorées : « FRANCOIS DE LORRAINE / DUC DE GUISE ». Dès l’achat, cette inscription est désignée comme un repeint postérieur et une erreur d’identification du modèle. Il est alors décidé de masquer « FRANCOIS DE LORRAINE » tout en laissant visible « DUC DE GUISE ». Le second portrait, en revanche, représente bien François de Lorraine, 2ème duc de Guise et fils de Claude. Il est dépeint en demi-armure, portant également le collier de l’ordre de Saint-Michel et l’épée au côté, ses gantelets et son arme étant posés au sol. Si Claude de Lorraine est représenté en intérieur devant un rideau vert, son fils apparaît en extérieur, devant un rideau rouge avec, à l’arrière-plan, la ville de Metz assiégée. Elle rappelle le siège de la ville mené en 1552 par l’empereur Charles Quint et la défense héroïque assurée par François de Lorraine.En 2007, le portrait de François de Lorraine est attribué à Philippe de Champaigne par Eric Moinet qui propose de l’identifier comme la toile commandée à ce dernier par le cardinal de Richelieu pour orner la galerie des Hommes Illustres de son palais parisien.
En 2010, une restauration des deux portraits est effectuée au Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) donnant lieu à plusieurs découvertes. La radiographie du portrait de Claude de Lorraine fait ainsi réapparaître un chien situé à gauche de la toile, regardant son maître. Probablement jugé peu esthétique par la suite, il fut masqué par des repeints. Dans un très bon état de conservation, l’animal est alors dégagé.
Le dégagement des repeints du portrait de François de Lorraine fait par ailleurs réapparaître une inscription en lettres dorées, très proches du pied du modèle -sans doute avait-t-elle été finalement recouverte afin de mieux le mettre en valeur. On déchiffre les mots : « TAM VALIDE METIM PROPUGNAS CAESAR UT INDE ». Si cette première ligne a pu être dégagée, la seconde, trop abîmée, peut être reconstituée grâce à une estampe de François Bignon gravée d’après la toile : « FORTUNA INSENSUS CESSERIT IMPERIO ». L’ensemble se traduit par : « Tu as défendu Metz avec tant d’énergie que César, irrité contre la Fortune, a renoncé à l’Empire ». Elle rappelle que trois ans après le siège de Metz, Charles Quint décida d’abdiquer pour se retirer au monastère de Yuste.
Comte ou duc ?
En 1858, l’abbé Guillaume offre au musée un tableau identifié comme un ex-voto offert par Nicolas de Ludres pour remercier la Vierge de l’avoir préservé lors des combats de la guerre des Rustauds qui opposa le duc Antoine de Lorraine aux paysans luthériens révoltés en 1525. Une inscription présente dans deux cartouches indique en effet en lettres d’or : « NICOLAS DE FROLOIS COMTE / DE LUDRE ET D’AFIQUE ET SA FAM/MILLE, DÉFENDIT LA RELIGION ET LA FOI / CATOLIQUE, AVEC ANTOINE DUC DE LORRAINE / CONTRE LES LUTHERIENS D’ALLEMAGNE AU COM/BAT DE SAVERNE ET SAUVA LA LORRAINE DE LEUR INVA[SION] ». Entre ces deux cartouches apparaît la date « 1526 » et les armes de la famille de Ludres : « Bandé d'or et d'azur à la bordure engrêlée de gueules » surmontées d’un armet portant la couronne comtale de laquelle émerge une tête de cerf. L’écu est entouré par deux lions représentés l’un debout et l’autre couché sur un sol d’herbe. Nicolas de Ludres, son frère cadet Jean et les deux femmes successives de ce dernier seraient représentés en prières devant la Vierge avec, au second plan, la côte de Saverne.
Dès 1895, il apparaît évident que l’inscription, la date et le blason ne sont pas d’origine. Si la toile peut être datée du début du XVIIe siècle au vu des costumes des quatre personnages représentés, les éléments situés au bas de la toile semblent avoir été ajoutés au XVIIIe siècle. En 1938, Pierre Marot identifie le sujet avec plus de précision. Il s’agit en réalité d’une représentation du duc Henri II de Lorraine et de son épouse la duchesse Marguerite de Mantoue, accompagnés par leur saint patron respectif, saint Henri et sainte Marguerite. Pierre Marot montre par ailleurs que le paysage ne représente pas la côte de Saverne mais le sanctuaire de Notre-Dame de Montserrat en Catalogne auquel le duc et la duchesse de Lorraine firent plusieurs dons. On peut effet reconnaître le site montagneux avec ses nombreux ermitages et la statue de la Vierge à l’enfant portant un vase à fleurs. L’inscription fut donc rajoutée a posteriori, peut-être à une époque où la toile fut la propriété de la famille de Ludres, venant ainsi, consciemment ou non, falsifier le sujet d’origine.
Des religieuses musiciennes
En 1961, la Société d’Histoire de la Lorraine et du Musée lorrain acquiert pour le musée le portrait de la famille Masson. La toile est commandée en 1763 par Henry Pierre Masson, propriétaire du café Royal sur la place Royale de Nancy (actuelle place Stanislas). Elle le représente aux côtés de son épouse Marie Ludgarde Ahberg avec leurs sept enfants : Louise Thérèse, Marie Gabrielle, Catherine, Louise, Anne Colette, Jeanne et Jean-Pierre. Chacune des six filles est peinte jouant d’un instrument de musique, qu’il s’agisse d’une harpe, d’un clavecin ou d’un luth. L’un d’eux attire plus particulièrement l’attention : il s’agit de la harpe entre les mains de Marie Gabrielle, à l’extrême droite du portrait, qui fut offerte à la jeune femme par Madame Victoire, fille de Louis XV, en 1761.
Lorsque la toile entre dans les collections du musée, trois des filles, Catherine, Anne Nicole et Jeanne, sont représentées en habit de religieuses. Jean-Pierre est pour sa part revêtu d’une soutane et d’un rabat. En effet, en 1795, après la suppression des ordres religieux lors de la Révolution, les trois sœurs étaient recensées comme « ex-religieuses » et résidaient chez leur mère.
Cependant, la restauration du tableau menée en 1961 permet de se rendre compte que ces habits religieux sont en réalité des repeints ajoutés dans les dernières années du XVIIIe siècle. S’il n’est pas inhabituel de voir des portraits complétés a posteriori par le rajout d’un blason ou d’un ordre de chevalerie, il est beaucoup plus rare d’observer un exemple aussi poussé de mise à jour. En revêtant ainsi les trois filles des habits de leurs nouvelles fonctions, la famille souhaita ainsi actualiser le portrait au plus proche de la réalité. Retirés en 1961, ces repeints ont permis de retrouver les habits d’origine, qu’il s’agisse des robes des trois sœurs ou bien de l’habit de hussard porté par Jean-Pierre.
Pour en savoir plus : Thierry Maniguet et Pierre-Hippolyte Pénet, « La harpe de Madame Victoire, un cadeau princier à une jeune Nancéienne », Le Pays lorrain, décembre 2023, p. 267-276.