Petite histoire d'attribution : Le "Mariage mystique de sainte Catherine" conservé au musée des Beaux-Arts de Nancy

par Sophie Laroche,

Conservatrice des collections XIVe - début XIXe siècles

 

Le musée des Beaux-Arts de Nancy a la chance de posséder quelques magnifiques témoignages de la peinture des anciens Pays-Bas du XVIe siècle. Au deuxième étage, non loin de plusieurs toiles au format spectaculaire, un petit tableau d’à peine 70 centimètres de large pourrait passer inaperçu si sa palette particulièrement brillante et l’extravagance des costumes n’attiraient l’attention. Il est attribué à Joos van Cleve (autour de 1480-1540), peintre flamand qui tire son nom de sa ville natale, Kleve, située sur les bords du Rhin, dans le nord de l’Allemagne. Joos van Cleve, qui fait partie d’une longue dynastie d’artistes reconnus, a passé toute sa carrière à Gand et à Anvers et travaillé pour des commanditaires allemands ou italiens. Il se construit une solide réputation de portraitiste et de peintre de dévotion (il multiplie de manière virtuose les Vierge à l’Enfant).

Pauvre Catherine !

Le sujet représenté ici – Le Mariage mystique de sainte Catherine – est répandu dans la peinture depuis la fin du Moyen-âge : une nuit, Catherine d’Alexandrie vit le Christ en songe et décida de lui consacrer sa vie. Mais séduit par la sagesse et l’incroyable beauté de la jeune femme, l’empereur Maxence réclama sa main à trois reprises. Catherine refusa à chaque fois, déclarant qu’elle était déjà fiancée au Christ. Cet entêtement lui vaudra d’être mise à mort. Au centre du tableau, le Christ enfant, sur les genoux de sa mère, tend une main vers la sainte pour recevoir l’anneau d’or qu’elle lui présente et qui symbolise leur union. Celle-ci est reconnaissable à ses attributs, qui sont aussi les instruments de son supplice : l’épée qu’elle tient au côté et la roue posée sur le coin de la table au premier plan.

L comme …

À son entrée dans les collections nancéiennes en 1909, le tableau était attribué à un artiste allemand anonyme même si l’on signalait déjà la présence du monogramme « L », bien en vue sur la nappe blanche et accompagné d’une date – « 1514 ». Cette signature, bien connue, est celle de Lucas de Leyde (1494-1533), artiste flamand contemporain de van Cleve mais alors plus illustre que celui-ci – preuve ultime de cette réputation : Dürer lui avait acheté tout son œuvre gravé et avait réalisé son portrait. Depuis, on considère cette mention comme une addition apocryphe réalisée pour d’évidentes raisons commerciales, peut-être du vivant même du peintre. Cette pratique de falsification était alors courante (les œuvres de Lucas de Leyde étaient à leur tour parfois marquées du célèbre monogramme de Dürer afin d’augmenter leur valeur).

Pourquoi van Cleve ?

C’est à la fin des années 1980 seulement que, par rapprochement stylistique avec d’autres œuvres connues du peintre, le nom de Joos van Cleve a été avancé. Quoi qu’il en soit, plusieurs détails rapprochent cette œuvre de la peinture flamande des années 1520-1530. C’est le cas de la nature morte « gratuite » au premier plan : les objets de la « vie silencieuse » sont posés sur une tablette qui semble extérieure à la scène comme pour séparer la sphère sacrée de notre monde profane. C’est encore le cas de l’irréel paysage vallonné à l’arrière-plan où se mêlent une façade d’inspiration méridionale (derrière la sainte) à une ferme vernaculaire (derrière la tête de la Vierge). La fantaisie décorative du costume de sainte Catherine, son drapé virevoltant, sa coiffe raffinée mêlant étoffes et parties orfévrées sont caractéristiques du maniérisme anversois du premier tiers du XVIe siècle, dans lequel on situe traditionnellement van Cleve. Ce courant est en effet marqué par un goût du bizarre et de l’exagération formelle, une palette éclatante et un univers empreint de poésie, autant de caractéristiques qu’on retrouve dans le tableau de Nancy.

Venez le voir !

Dans les salles du 2ème étage consacrées à la Renaissance, le tableau était jusque-là isolé sur un mur trop grand pour lui et mal éclairé, on pouvait passer devant sans le remarquer. Désormais mieux mis en valeur, il frappe par ses couleurs lumineuses et la délicatesse des visages des deux saintes, qui incarnent l’idéal de beauté féminine autour de 1520 dans le nord de l’Europe.

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