Camille Berniard: "Ma racine est au fond des bois"

Durant 6 semaines, l'artiste et sérigraphe Camille Berniard est restée en résidence au musée de l'École de Nancy, dans le cadre du projet "Jeunes estivants" de l' ENSAD Nancy, avec le soutien du Ministère de la Culture.

Elle partage avec Verso ses impressions (au sens propre, comme au figuré!)

 

Quand j’étais enfant, nous n’allions pas au musée. Notre truc à nous, c’était le sport. En 2024, le musée de l’École de Nancy fête ses 60 ans d’existence. Cela fait également 120 ans qu’Émile Gallé, chef de file de l’association, est décédé. Une année marquante pour ce mouvement artistique et artisanal novateur qu’est l’Art Nouveau.

Ce mouvement, je le connais de mes professeurs qui m’en avaient enseigné les formes et les engagements durant mes études. Mais je le découvre véritablement en arrivant à Nancy. Il est partout : façades, jardins, architectures, monuments, places… De nombreux quartiers sont marqués par cet héritage. De mon côté, cela fait plusieurs années que j’ai mon atelier dans cette ville d’adoption. Alors je regarde ce mouvement. J’apprécie ses formes, son lien à la nature, je me passionne pour de nouvelles matières et surtout, je découvre une philosophie unique de travail. La notion d’art total, la nature source de bonheur dans les intérieurs. Naturellement, ce musée à taille humaine, je le visite. Une sensation nouvelle naît, le sentiment qui m’a fait me sentir à la bonne place dans mon travail. Le 13 août 2024, je rejoins le musée de l’École de Nancy pour une résidence artistique qui durera 6 semaines. Lors de cette résidence, je découvre le lieu différemment, mais surtout les personnes qui y travaillent quotidiennement. Je rencontre Valérie, Claire, Blandine avec qui je partage les espaces de travail à la conservation. J’y croise aussi Juliette et Flora. Dans les salles, il y a Jaky, Yannick, Michel, Brigitte, Nathalie et tous les autres. Je croise Damien et Jérémy régulièrement, qui manipulent les collections en régie. Le matin, c’est Julien, Francis et les autres agents de sécurité qui nous accueillent à la porte.

Au bout de quelques semaines, je rencontre Véronique, qui s’occupe de la communication pour les musées, avec qui nous discutons longuement des différents aspects de mon travail ici. Je lui explique que je vais réaliser un livre, une sorte de BD assez peu conventionnelle, où on y parlera d’Émile Gallé bien sûr, mais aussi de ces personnes qui côtoient son travail tous les jours. Ce livre, je vais le réaliser en sérigraphie, entièrement à la main, en mêlant des questions de fond, mais aussi de formes, qui seront le résultat des recherches et des discussions que j’aurais pu avoir pendant mon séjour.

Nous sommes installées dans le jardin avec Véronique, à l’entrée du musée. C’est le matin, Michel vient de s’installer derrière la caisse, Nathalie est à l’entrée, prête à accueillir les premiers visiteurs. Pepette, le chat qui vit dans le jardin du musée vient d’arriver pour son premier repas que lui sert Yannick.

Avec Véronique, on discute de la vie au musée, des collections bien sûr, mais surtout des gens. Je lui confie me sentir particulièrement chanceuse d’être ici, de pouvoir m’immiscer dans la vie du musée et échanger avec toutes ces personnes. Ils ont tous quelque chose d’unique à raconter, tous sont riches d’enseignements. Durant ma formation, j’ai beaucoup appris en cherchant et de mes  professeurs. Mais en m’engouffrant dans  le monde de l’artisanat, j’ai découvert la richesse de l’expérience humaine. C’est ce que j’explique à Véronique, ce sentiment assez unique d’évolution auprès des gens, c’est quelque chose qui me touche particulièrement. C’est peut-être pour ça aussi que j’apprécie autant les formes créées par Émile Gallé, l’humain n’est jamais très loin. Un jour, c’est Valérie qui m’explique : « Il a quelque chose très humain. Alors, oui, c’était quelqu’un de pas toujours facile, il y avait une forme d’exigence, mais ça reste quelqu’un de très humain. »

Dans l’artisanat, on est en contact direct avec une matière. Dans le cas de Gallé, c’est le bois, le verre ou la céramique. Claire me disait : « Il n’est pas juste dans le concept et l’idée, il s’intéresse à la manière dont on travaille. Il est certain qu’il était très lié à ses collaborateurs. Il n’y aurait sûrement pas eu autant d’expérimentations et de propositions. » La matière a cette capacité à nous faire chercher, expérimenter, s’aventurer vers de nouveaux terrains de jeu. C’est quelque chose de très marqué dans le travail de cet artiste. Et puis c’est aussi une forme d’engagement. Damien m’a dit : « Gallé était dreyfusard, la question juive, qui est encore d’actualité aujourd’hui, Gallé en 1900, il la traitait déjà. C’est d’autant plus courageux que Nancy était une ville de garnison. » Claire ajoute à cela : « C’est une de ses facettes, d’être un homme engagé. On voit bien que ça vient nourrir les valeurs qu’il considère être au-dessus de tout. C’était tellement fort que c’était obligé d’exister dans son oeuvre. »

Au fil du temps et des rencontres, je comprends mieux pourquoi son travail me touche autant. Je comprends mieux comment l’héritage de l’École de Nancy peut encore vivre aussi fortement aujourd’hui, comment ce musée est à la fois un lieu de conservation, mais aussi un lieu de vie. Au moment où l’on se rencontrait avec Véronique, je n’avais pas encore précisément en tête l’ensemble des illustrations, ni des textes. Mais une chose était sûre : le témoignage de Damien, Valérie, Claire, Blandine, Flora, Jérémy, Jaky, Julien et tous les autres seraient le coeur de l’histoire. Leurs regards et ceux qu’ils m’ont apportés seraient la retranscription collective de l’héritage de l’École de Nancy.


Et comme l’a si bien dit Jaky : « Quand je partirai, je garderai dans mon coeur les gens et les belles choses. »

Camille Berniard, septembre 2024

https://www.camiberni.fr/

Camille présente son ouvrage au musée de l'École de Nancy pendant les Journées européennes du Patrimoine 2024.