L’œil derrière l’image

28/06/2024

par Véronique Baudoüin

Jean-Yves Lacôte photographie les œuvres des musées depuis 6 années. Il a vu passer toutes sortes d’objets sous son objectif, peintures, sculptures, objets d’art, curiosités, 2D, 3D, grandes œuvres et petit bout de galon… Mais quelle que soit la valeur, son travail est de faire une image qui rendra justice, qui révèlera sans tromper, qui montera sans mentir !

Nous l’avons rencontré entre deux séances photo à Nancy pour lui demander comment il entend son rôle et bien sûr, ce que ce travail si particulier lui apporte en tant que photographe.

Donner envie de toucher

« Je travaille avec des musées différents, donc avec des matériaux très différents. Justement j’étais il y a peu dans le nouveau musée ARCHEA près de Roissy, où j’ai photographié des objets pas du tout précieux, des perles de terre cuite- pas des fibules en or- mais des petites choses modestes, et pourtant, je dois faire la photo qui va révéler la matière et donner envie de toucher. Souvent, je pense à l’objet, à son usage et je choisis alors comment l’éclairer. Pour chaque objet je dois trouver la bonne lumière, chaque matériau nécessite une approche différente, et même au sein d’une même matière, on aura des variations. Tout est là, dans la manière d’éclairer, pour que justement, on n’ait pas l’impression que c’est éclairé ! C’est toujours plus compliqué pour les objets en 3D. Une peinture, un dessin, c’est plat, ça va vite, c’est facile, mais le volume c’est autre chose ! Pour moi l’important c’est de ne pas faire de contre-sens en éclairant trop ou mal, la lumière doit renforcer et souligner mais pas mentir. Par exemple, je déteste les ombres croisées qui ne marchent pas. On a besoin des ombres, bien sûr, parce quelques fois elles donnent du sens à l’objet, par exemple une passoire, avec l’ombre on va pouvoir insister sur les trous qui la constituent. Ce n’est pas toujours facile, il y a même des objets franchement difficiles et il m’arrive de tâtonner un moment avant de trouver la bonne lumière."

Maîtriser tous les sujets et toutes les matières...

"Et, moi, tant que je n’ai pas trouvé, je continue à chercher. Et j’ai cette chance d’être un obstiné. Je me rappelle une vraie galère, pour le musée du Louvre, pour qui je devais photographier des céramiques chinoises du XVIIIe siècle. Il y en avait un splendide, un grand vase bleu nuit, très très brillant, comme une boule de billard. Impossible à photographier, ça m’a rendu dingue !

Parce qu’a priori, dans le travail de postproduction, je retouche le fond, mais je ne touche pas un pixel de l’objet, sauf si on me le demande, mais sinon, non, pour moi, ça voudrait dire que ma photo est ratée. Et malgré tout, il y a toujours un énorme travail, on considère qu’une journée de prise de vue, c’est une journée de postproduction derrière. Parfois plus, si j’ai laissé une poussière ou des saletés sur le fond. Ça m’est arrivé au musée de l’École de Nancy, avec des couverts, en fin de journée. J’ai eu pour plus de 12 heures de nettoyage !"

 

Une certaine idée de l’esthétique

"Naturellement, j’utilise des réflecteurs, en général je récupère des morceaux de mousses, d’emballage. C’est indispensable et je ne pourrais pas m’en passer. Comme fond, j’ai un grand papier de couleur grise ou noire, ça dépend si on recherche une atmosphère un peu plus dramatique, comme peut me le demander par exemple le musée du Quai Branly, pour donner un aspect plus expressif aux masques. Mais l’idée de toute faon c’est que le fond disparaisse, ce n’est pas lui qui compte dans l’image. Je construits des plateaux de prise de vue avec tous ces éléments et ça permet de trouver une atmosphère un peu spéciale, qui sert l’objet. Par exemple, quand j’ai photographié toutes les petites terres-cuites pour l’exposition Adam, elles étaient pratiquement enfermées dans le dispositif entre le fond et les réflecteurs et ça m’a permis d’obtenir la meilleure lumière. J’ai adoré photographier ces sculptures !

Bien sûr, il y a aussi les attendus, chaque musée a ses idées. Depuis le temps, maintenant on se connaît bien avec les musées de Nancy, donc ça va tout seul, au besoin, on discute, mais je connais les attendus. Mais ça reste un travail d’équipes. Ici, on a des gens jeunes, attachants avec qui c’est intéressant de travailler, ils ont leurs points de vue ! Moi, je n’ai pas d’avis sur les objets, je ne les vois finalement pas longtemps, et je ne suis pas un bon regardeur, malgré ce qu’on pourrait penser ! Je ne les regarde pas en détail mais je cherche plutôt une impression d’ensemble donc, je ne considère pas que je connais les œuvres. Moi j’apporte plutôt mon idée de l’esthétique que j’applique à chaque prise de vue."

Une carrière dédiée aux objets

"Bien sûr, quand je dois photographier des verreries de l’École de Nancy, il y a du travail, parce qu’il faut trouver quel aspect on va mettre en valeur plutôt qu’un autre, c’est compliqué. Ça nécessite aussi de préparer les prises de vue en amont, de réfléchir à l’objet. Il y a de la matière aussi à mettre en valeur, des effets d’épaisseur… Un vase transparent, ça va être une autre difficulté, pour lui donner de la consistance.

Depuis 10 ou 15 ans, ces photos d’œuvres occupent la part majoritaire de mon travail. Mais je suis un photographe de studio, et je fais encore de tout, du portrait, de la photo urbaine, du reportage. J’ai d’abord été photographe d’inventaire, donc, je connais bien les objets d’art, j’en ai photographié des milliers ! Mais ce travail, c’est vrai qu’il me permet de voir beaucoup de choses et beaucoup de monde, avec parfois des objets vraiment sidérants et rigolos, comme le meuble des Martyrs de Trèves, avec tous ses personnages en cire. »

Pour l’avoir observé au travail, je peux vous dire que Jean-Yves mène rondement ses séances : une petite heure pour trouver la bonne installation, et les photos s’enchaînent. Pour la séance consacrée aux vitraux, Anaïs Prioux, régisseuse des œuvres du Musée lorrain, pose et dépose les pièces à un rythme soutenu. Puis c’est au tour d’une tenture en velours. Jean Yves escalade l’échafaudage. Hop, c’est déjà fini, il est redescendu. « Une bonne séance » nous dit-il ! C’est fini pour cette fois, mais il reviendra vite, en moyenne une fois par mois, pour permettre d’enrichir la photothèque de l’un ou l’autre musée !