Une réserviste en réserve(s). Portrait de Caroline Lenoir

20/12/2024

Caroline Lenoir, régisseur au Musée Lorrain, en cours de montage de l'exposition-dossier "René Wiener: lorrain, juif et moderne". (c) Nancy-Musées

Entretien réalisé par Véronique Baudoüin

Si vous cherchez Caroline Lenoir, régisseur au Musée lorrain, vous entendrez parfois : « Elle n’est pas là, elle est en réserve ! ». Vous pourriez penser qu’en effet, son métier l’oblige à passer beaucoup de temps dans les réserves où sont conservées les œuvres du musée fermé pour travaux et où elle suit les prêts, les projets d’expositions et le déplacement et conditionnement des collection , mais ce n’est pas toujours le cas. Pour Caroline, la réserve c’est aussi sa deuxième vie, celle de l’armée où elle est officier au sein de la DELPAT (Délégation au Patrimoine de l’Armée de terre). Une trentaine de jours par an, elle revêt son treillis et part en mission. De quoi titiller notre curiosité…

Verso : « Caroline, raconte-nous un peu ton parcours pour arriver à cette « double-vie » entre musée et armée.

Caroline Lenoir : Alors d’abord, j’ai toujours ressenti une passion pour l’histoire, et l’un de mes premiers souvenirs, c’est une maquette de tranchée de la Première Guerre mondiale vue à l’école. Ça m’a beaucoup impressionnée. Et devant cette maquette et puis plus tard, ce que j’ai retenu, c’est le sacrifice des soldats, leur engagement jusqu’à la mort, le don de soi. Dans ma famille, j’avais été assez bien initiée au patrimoine mémoriel par le mari de ma grand-mère, qui était militaire.

J’ai compris que c’était très important pour moi et que je voulais vraiment en faire mon métier. Alors quand j’ai annoncé à mes parents que je voulais entrer dans l’armée, ils m’ont dit, « Fait d’abord des études, et après on verra ! ».

J’ai fait des études d’histoire et d’histoire de l’art, complétées par un Master II régie des collections à l’Ecole du Louvre et ensuite j’ai essayé d’entrer dans l’armée de Terre, au service du patrimoine. Mais ça ne s’est pas fait, je n’ai pas eu de poste, par contre, j’ai réussi le concours d’assistant principal de conservation et j’ai intégré la Fonction publique territoriale en tant que régisseur.

D’ailleurs, ce n’est pas anodin, mais mon premier poste était au Parc Naturel Régional des Vosges du Nord, où j’ai travaillé notamment pour le musée militaire de Phalsbourg

Verso : Ensuite tu as été en poste à Langres (Haute-Marne), c’était aussi pour les fortifications militaires ?

Caroline Lenoir : Non, non ! Là j’ai travaillé pour les musées municipaux, c’était intéressant, mais rien à voir !

Verso :Puis tu es arrivée à Nancy en 2022. Est-ce que l’importance des militaria conservés a joué un rôle dans ton choix du Musée lorrain ?

Caroline Lenoir : Oui, mais ce qui m’intéressait d’abord, c’est qu’il s’agit d’un musée d’histoire, avec un grand chantier des collections en prévision de la rénovation du musée. Bien sûr, pour moi c’était un plus de pouvoir suivre le travail autour des objets militaires.

 

Verso : Et la Réserve ?

Caroline Lenoir :  En 2023, j’ai déclaré cet engagement à la Ville de Nancy qui m’a accordé 30 jours de disponibilité annuels pour ma mission de réserviste. Ça représente environ 3 jours par mois. J’ai pu intégrer la réserve de l’armée de Terre, en tant qu’officier de réserve spécialiste, par voie opérationnelle, au sein de la DELPAT, comme chargée des fortifications. Je m’occupe des forts appartenant au ministère des armées ou à des collectivités et entretenus par des associations. Ça représente 28 ouvrages environs, et une 40taine d’associations. Il y a ceux de la Ligne Maginot (comme le Hackenberg), les forts allemands (Festen Wagner, Guentrange, …) et les ouvrages de type Seré-de-Rivière, les plus anciens, comme Uxegney, Parmont…

Verso : Quel est ton rôle auprès des associations ?

Caroline Lenoir :  Alors, déjà mon travail dans la réserve a trois grands objectifs :

Premièrement, c'est renforcer le Lien Armée-Nation, et donc, en particulier, avec les associations mémorielles qui s’occupent des ouvrages fortifiés. Ensuite, c'est mettre à disposition et suivre les matériels déposés, c’est-à-dire des collections d’armes, d’équipements, ... Et enfin, offrir des conseils et du soutien scientifique aux associations.

Concrètement, la DELPAT met en dépôt beaucoup d’objets qui appartiennent soit à des musées militaires soit au ministère des armées, et moi je gère ces dépôts, j’en fais le récolement, j’enrichis la base de données ARCHANGE, et je surveille leur état de conservation. Les normes sont les mêmes que pour des objets de musée : il y a des contraintes d’hygrométrie, on a aussi des opérations de restauration à conduire. Evidemment, vu le contexte, les conditions de conservation de ces objets sont particulières. Il faut être très attentif au climat, c’est-à-dire au taux d’humidité et à la température, quand on est 30 à 40 mètres sous terre. Je donne beaucoup de conseils. La semaine dernière par exemple, j’étais en tournée d’inspection avec mon général et son adjoint.

Verso : Donc tu es surtout sur le terrain ?

CL : Non, c’est variable. Je passe aussi des journées à la DELPAT à Paris, aux Invalides, je travaille dans des casernes (Nancy ou Metz) pour consulter des archives ou faire de la saisie sur la base de données. Je participe aussi à des forums et à des conventions sur les fortifications.

Verso : Tu peux mettre à profit ton expérience à la régie du musée, et vice versa ?

Caroline Lenoir : Oui il y a beaucoup de liens entre mes deux activités. Et par exemple, quand l’armée a voulu faire don au Musée lorrain de collections provenant du palais du Gouvernement, le contact était facilité. C’est vraiment une chance de pouvoir concilier deux passions.

Verso : Est-ce que par exemple, si on se replace du côté de l’armée, tu pourrais aussi exercer un rôle militaire plus opérationnel ?

Caroline Lenoir : Oui en tant que soldat de réserve, j’ai suivi une formation militaire au combat à l’Ecole militaire des aspirants de Coetquidan (EMAC) puis à l’École supérieure des officiers de réserve spécialistes d'état-major (ESORSEM). Ces formations m’inscrivent dans une tradition qui m’oblige et donnent un sens profond à mon engagement. Cela m’a permis d’être nommée sous-lieutenant de réserve, et à l’avenir je peux monter en grade.

Verso :Est-ce que ça veut dire aussi, qu’en dehors de ta mission à la DELPAT, tu pourrais être sollicitée activement en cas de conflit ?

Caroline Lenoir : Oui, je suis formée au tir, aux tactiques de combat, à la rédaction d’ordres opérationnels.

Verso :Et est-ce que tu pourrais collaborer par exemple avec le Bouclier Bleu* ou avec l’OCBC** ?

Caroline Lenoir :  Oui, ça fait partie des missions de la DELPAT via la Protection du patrimoine en situation de conflit. Pour nous la lutte contre la destruction, le pillage et le vol est une priorité permanente.

Verso :Concilier ces deux activités, ce n’est pas trop lourd ?

Caroline Lenoir :  Non, c’est vraiment très complémentaire. Dans les deux cas, j’ai des responsabilités différentes, qui m’apportent beaucoup. En tant que régisseur, j’ai des compétences que je peux mettre au service des collections militaires. À l’armée, j’ai une marge de manœuvre et de décision un peu plus importante, et on me confie des projets à développer seule. Mes compétences sont reconnues de manière différente, quand on me confie la rédaction d‘un article sur des peintures murales par exemple.

Le plus complexe, en fait, c’est de revenir au musée après un séjour de réserviste. J’ai l’impression de sortir d’un monde parallèle dans lequel j’occupe une place de responsabilité et dans lequel j’évolue naturellement grâce à mes compétences civiles que j’applique pleinement aux ensembles militaires. Ce n’est pas seulement l’organisation ou l’uniforme, c’est aussi un état d’esprit où domine de don de soi-même pour une cause qui est plus grande que soi, c’est un engagement vraiment très fort. »

Et pour le Musée lorrain, c’est assez rassurant de se dire que dans ses murs, l’armée veille !

*Bouclier bleu : Association réunissant des bénévoles et spécialistes du patrimoine avec pour mission d’œuvrer à la protection du patrimoine culturel et naturel mondial, y compris le patrimoine immatériel, en cas de conflit armé ou de sinistre d’origine naturelle ou humaine. https://www.bouclier-bleu.fr/

** OCBC : Office central de lutte contre le trafic des biens culturels,service de police judiciaire français spécialisé dans les vols et le trafic d’objets d’art, notamment en provenance de sites archéologiques étrangers.