Au fil de la nature

par Véronique Baudoüin

Lors de la Nuit des musées, le 18 mai dernier au musée de l’École de Nancy, les courageux visiteurs qui ont bravé la pluie ont pu découvrir la présentation du travail des élèves de 5e du Collège de la Plante Gribbé de Pagny-sur-Moselle. L’opération « la classe, l’œuvre », volet scolaire adossé à la Nuit des musées, permet effectivement partout en France de découvrir et de valoriser les projets d’Education Artistique et Culturelle menés autour des collections des musées.

Une classe pas comme les autres

Au musée de l’École de Nancy, les nids, cocons de branches et photos exposés témoignent de l’appropriation réussie de la thématique de l’environnement, fil rouge de l’enseignement de l’année pour ces 20 élèves bénéficiant d’un dispositif encore méconnu : la classe CHAAP ou classe à horaires aménagés arts plastiques, encadrée par Séverine Altmayer, professeure d’arts plastiques. Deuxième classe de ce type sur l’Académie et première en Meurthe-et-Moselle, la classe CHAAP de Pagny-sur-Moselle orientée autour de l’architecture, décline sur 4 ans les thèmes de la « maison » ; la « ville et l’environnement » ; « architecture, nature et corps » et « héritage et société(s) ».

Depuis leur entrée en 6e, en 2022, ces enfants, bénéficient de 3 heures consécutives d’arts plastiques tous les lundis matin et profitent de ces « super » séances pour explorer tous les univers de la discipline. Pour cela, ils peuvent compter sur l’énergie de leur professeure, mais aussi sur la contribution de partenaires nombreux : les musées et l’école d’architecture de Nancy, l’École supérieure d’art de Lorraine de Metz…

Révéler des sensibilités et des émotions

« On a tout de suite trouvé des partenaires comme Nancy-Musées qui ont bien voulu nous accompagner », nous raconte Séverine Altmayer. « Il y a aussi des galeries, l’université, des collectifs comme Heruditatem, on a exposé aussi au Préau. Ensemble nous construisons des moments de rencontres et d’échanges autour de notre thème de travail: Art et Habitat. Par exemple, avec l’ESAL de Metz, nous avons travaillé avec un étudiant, Lou, sur le vêtement aujourd’hui et la parure, pour réfléchir sur le sens de ces choix vestimentaires et nous avons ensuite repris cette réflexion pour l’appliquer à des matériaux naturels avec lesquels nous travaillons. Ça a donné un joli résultat avec des branches dénudées ou habillées de fil, et la création d’une échelle de branches. Pour les élèves, ces rencontres avec des artistes sont des moments de grande richesse. Cela leur permet de développer leur manière de regarder et leur esprit critique, d’ouvrir leur esprit. »

Et comme nous le raconte Johanna, l’une des élèves, « cette classe, elle nous apporte pleins d’ouvertures, de disciplines. On voyage, on visite beaucoup de musées, on fait des rencontres. Ça nous donne de la créativité et de la liberté. Et puis on est comme une famille. Avant on ne se connaissait pas et puis on est ensemble et ça c’est bien. Et en plus, ça nous aide pour apprendre à parler en public ».

D’ailleurs Johanna n’hésite pas à nous dire qu’elle espère pouvoir poursuivre au lycée cette spécialisation. Et quand on lui demande comment elle est arrivée dans la classe : « La prof est venue nous présenter la classe Chaap au primaire et ça m’a donné envie ». Ce que Johanna ne dit pas c’est qu’elle dessine tout le temps… Car pour intégrer la classe Chaap, il faut bien sûr posséder quelques aptitudes et attraits pour l’art. Mais pas forcément pour une expression plastique. « Ce que je cherche, c’est une forme de sensibilité, une capacité à exprimer une émotion. Pour certains, c’est une évidence, ils ont leur place dans cette classe. Leurs profils sont très hétérogènes, mais tous vont apporter leur propre regard », nous dit Séverine.

Créer des synergies entre les lieux et les enseignements

Ainsi, pour Malo, autre élève de la classe, c’est le piano qui l’a conduit à choisir cette orientation, par curiosité et goût de l’art. Alors quand on lui demande ce qu’il a remarqué au musée de l’École de Nancy quand il est venu le visiter, il nous répond : « le piano ! », celui de Louis Majorelle avec le décor de marqueterie de Victor Prouvé. « Ça m’a plu, parce qu’on a eu l’impression d’être dans une maison, très grande, avec beaucoup d’escaliers, celui pour le personnel, celui pour les propriétaires, parce que ça ressemble plus à une maison qu’à un musée, avec beaucoup de richesses. À la Villa Majorelle aussi, c’est bien organisé, c’est beau, j’ai bien aimé le salon, et puis on voit partout le décor avec la nature, les formes comme ça… ».

Ces visites et ces rencontres avec des intervenants d’horizons différents viennent enrichir un cursus où se croisent aussi les enseignements de SVT, maths, ou physique : « On développe une synergie entre les disciplines ». D’ailleurs, avec leur professeur de SVT, les élèves cultivent un potager et se promènent « les pieds dans le gazon », nom de leur atelier intégré au projet du Conseil de refondation de l’école (CNR) et même primé ! L’occasion d’évoquer tout ce que la nature peut apporter à l’art : sur le compte Instagram de la classe, @l_echapee, vous les verrez même fabriquer du plastique avec du lait ! Vous les verrez aussi en pleine fabrication de leurs cocons, ces objets réalisés à partir de branches souples destiné à évoquer un abri, un monde protégé, inspiré par la manière dont les oiseaux fabriquent leurs nids à partir de petites choses comme les cheveux. « C’était long et difficile, nous raconte Malo, parce que les branches cassaient souvent. Certains avaient préparé un schéma, moi non, j’ai fait comme je pouvais, avec beaucoup de ficelle. »

Une implication qui porte ses fruits

Il ne vous sera pas très facile d’identifier Malo sur la photo qu’il a imaginé avec son partenaire Victor : son visage est pratiquement invisible, dissimulé par le lierre. « On ne voulait pas que l’on voit la forme humaine, on voulait montrer comment on pouvait être complètement intégré à la nature, en mode camouflage. » Les enfants ont pris les photos eux-mêmes, avec les téléphones. Elles ont ensuite été retravaillées pour un effet de surexposition imposé : « l’idée c’était d’isoler le motif, de trouver le moyen de faire ressortir les éléments », nous explique Séverine. Un nouvel apprentissage qui s’ajoute à tous ceux que rencontrent les élèves au fur et à mesure de leur parcours. Il est même question de pratiquer le tirage photo, en labo… Malo et Victor ont-ils conscience de la poésie et de la délicatesse qui ressort de leur travail ? « Euh, je trouve que ça va, oui je suis content du résultat ! »

À la rentrée 2023, cette première promo a été rejointe par une classe de 6e. Certains ont fait le déplacement samedi pour soutenir leurs camarades, à qui on a demandé de présenter leur travail en public pour s’en faire les médiateurs, autre challenge relevé ! Car même si ce n’est pas évident de prendre la parole, de parler fort et clair en face d’un public, on a senti qu’ils se jetaient à l’eau bien volontiers ! Une satisfaction pour Séverine et les familles venues au musée malgré la pluie. Cette manière un peu différente d’enseigner, grâce au temps accordé à l’art, semble porter des fruits plus nombreux encore : en plus de ces rencontres et de ces nouvelles pratiques, les enfants ont accepté l’invitation d’une association de préservation de l’environnement de Pagny, les Sonneurs de la côte, pour les aider à fabriquer des toilettes sèches pour le village. Une manière de les impliquer encore un peu plus dans le collectif, l’intergénérationnel, le partage et le bien commun.

Des engagements que les musées de Nancy vont accompagner en imaginant des actions de médiation pour et avec eux jusqu’à la fin de leur cursus.

 

NB: Ce projet a été suivi par Sandrine Mondy, chargée de la médiation pour le public scolaire du département Musées, arts visuels et valorisation du patrimoine de la Ville de Nancy.