Fontaine miraculeuse

par Sophie Laroche, conservatrice

Dans son joli écrin bleuté, le second étage du musée des Beaux-Arts, accueille les remarquables œuvres de la Renaissance. Au bout de la première galerie, un portrait de femme, peint par une femme, arrête le regard et semble nous inviter à discuter…

Un grand vide

Les femmes peintres de le Renaissance sont peu nombreuses et surtout mal connues. Pour cause, elles n’ont accès ni aux académies ni aux botteghe, ces ateliers où les jeunes peintres apprennent auprès d’un maître les rudiments de leur métier. L’histoire de l’art s’est par ailleurs appliquée à négliger leur mémoire et le nom de ces artistes a souvent ressurgi récemment après un oubli de plusieurs siècles. Malgré un contexte peu favorable, certaines ont donc réussi à braver les conventions de leur époque et à affirmer leur talent sur une scène artistique dominée par les hommes. Lavinia Fontana (1552-1614) est l’une des plus célèbres d’entre elles et le musée des Beaux-Arts a la chance de conserver un tableau qui lui est attribué.

Regards de femmes

Longtemps classé dans l’école bolonaise du XVIe siècle avant qu’on le rapproche d’autres toiles de l’artiste, le tableau du musée représente une jeune femme anonyme debout, tenant un livre ouvert posé sur une table recouverte d’une nappe de velours. Distraite de sa lecture par la peintre qui semble l’interpeller, elle nous regarde, esquissant un léger sourire. Pour seul décor : une pièce ouverte sur l’extérieur par une fenêtre d’où filtre une lumière tamisée qui rappelle la peinture du nord. Le style de Lavinia se reconnaît surtout dans le soin accordé aux détails et au raffinement dans l’exécution des matières : il suffit d’observer la collerette et les manches en dentelles de la dame, le léger satin et les fines broderies noires du corsage de sa robe, l’éclat précieux de ses bijoux, la douceur moelleuse du lourd manteau de velours violet. Au premier plan, le tapis ottoman à motifs géométriques – fréquent dans les portraits du XVIe siècle, il est une marque ostentatoire de richesse – attire l’œil et frappe par sa présence.

Lavinia, une héroïne ?

Lavinia est née à Bologne, ville connue pour son université et son élite humaniste. S’il lui est interdit d’entrer à l’Académie de sa ville natale, la très renommée Accademia degli Incamminati nouvellement fondée par les frères Carrache, elle se forme dans l’atelier de son père Prospero, l’un des plus en vue de la cité. Le statut d’artiste apporte certes aux femmes peintres de l’époque une certaine liberté, mais elles n’en restent pas moins cantonnées à une typologie de sujets (Feda Galizia à Milan se consacre à la nature morte, tandis que Sofonisba Anguissola s’épanouit dans le registre du portrait). Lavinia se fait d’abord un nom comme portraitiste au sein de la riche société bolonaise puis pratique tous les genres, notamment le nu féminin ou les sujets mythologiques, alors exclusivement réservés aux hommes. Sa renommée est telle que la cour d’Espagne lui commande, en 1589, une Sainte Famille destinée à l’Escurial. Et curieuse inversion des rôles pour le XVIe siècle : son mari, Gian Paolo Zappi, également peintre, devra abandonner sa carrière artistique pour se consacrer entièrement à celle de Lavinia !

Découvrir l'oeuvre de Lavinia Fontana:

Des oeuvres de Lavinia Fontana sont conservées à la Pinacoteca Nazionale di Bologna,, à la Galerie des Offices à Florence (autoportrait) ou à l'Académie de San Luca à Rome. En France, on peut admirer un portrait d'homme au musée des Beaux-Arts de Bordeaux et, au musée du chateau royal de Blois, son fameux portrait d'Antonietta Gonsalvus, fillette atteinte d'hyperpilosité, considérée comme une curiosité et exhibée à travers les cours d'Europe.