Grégoire Ichou, l'enchanteur
Faire venir un chanteur lyrique au musée était l’un des rêves caressés par Lucie Chappé, responsable du service des publics des musées de Nancy. Véritable « Ovni » artistique, Grégoire Ichou a lancé son concept de visites chantées dans plusieurs musées parisiens, et conquis la France entière depuis. Après avoir enchanté le musée de l’École de Nancy, Grégoire Ichou s’est emparé de l’église des Cordeliers à l’automne dernier. C’est à l’occasion de ce passage à Nancy, que Lucie a tenté de percer les mystères de son projet hybride. Rencontre avec une personnalité hors du commun…
Une voix au service de l'art
Lucie Chappé : Grégoire, est-ce que tu peux te présenter en quelques mots ?
Grégoire Ichou : Je suis chanteur lyrique, guide-conférencier et drag queen. Rentré au conservatoire du 13ᵉ arrondissement de Paris à dix ans, j'ai découvert l'histoire de l'art au cours de mes études de musicologie à la Sorbonne. Ceci m’a conduit à effectuer une licence professionnelle de guide-conférencier puis un master en histoire de l'art et un master de médiation culturelle à l'École du Louvre. Pour moi, c'était assez clair que, même si j’étais passionné par la recherche, je voulais être dans la transmission et le partage.
Lucie Chappé : Ton principal outil de travail est ta voix de ténor. Peux-tu nous en dire quelques mots ?
Grégoire Ichou : La voix de ténor est une des sept principales tessitures vocales avec celles de soprano, mezzo, alto, contre-ténor, baryton et basse. Pour devenir chanteur lyrique, on peut avoir des facilités à la base, mais c’est surtout 95 % de travail sur le long terme. Afin de préparer la voix, je fais à la fois des exercices physiques pour réveiller le corps, ouvrir la respiration, et des exercices vocaux (différents types de vocalises). Ensuite vient le travail spécifique sur les morceaux que je dois préparer.
Chanter pour guider
Lucie Chappé : Comment t‘est venue l'idée du format de ces visites chantées qui sont uniques en leur genre ? Est-ce que tu peux nous en dire davantage sur la spécificité de ta proposition et sur la manière dont tu travailles ?
Grégoire Ichou : L’idée de ce concept m’est venue lors du mémoire que j’ai dû écrire pendant ma licence professionnelle de guide-conférencier. Ce n’est que quelques années plus tard que l’équipe du musée du Luxembourg s’est montrée très intéressée par cette idée et m’a permis de présenter mes premières visites chantées !
Pour chaque projet, je commence par un travail de documentation sur le lieu, ses collections, son histoire… À partir de ces premières lectures, je réfléchis à tous les liens possibles qui peuvent être tissés avec la musique en essayant de faire en sorte qu'ils soient d'ordre divers (époques, thèmes, personnes), avec parfois quelques anachronismes volontaires. Ensuite, je cherche les partitions sur Internet, sur Gallica en particulier, ou au département musique de la BNF (Bibliothèque Nationale de France). Il faut aussi s’assurer que le texte, la mélodie et la tessiture soient à la fois adaptés à ma voix et pertinents par rapport à mon propos. Après, l’accompagnement de chaque morceau est enregistré par des musiciens professionnels.
Des lieux qui inspirent...
Lucie Chappé : Tu interviens au musée de l'École de Nancy consacré à l'Art nouveau et à l'église des Cordeliers, qui abrite la nécropole des ducs de Lorraine. Par rapport aux autres lieux où tu interviens, tu es confronté à des acoustiques différentes. Est-ce que cela compte ? T’'en amuses-tu afin de la détourner au profit de ta proposition chantée ?
Grégoire Ichou : La question acoustique est bien évidemment très importante pour moi dans les visites chantées. D'un côté, c'est une contrainte et de l’autre c'est un élément positif. Pour simplifier, le lieu va réverbérer, comme dans certains espaces de l'église des Cordeliers ou à la basilique Saint-Denis ou au Panthéon. Plus il y a de réverbération, plus le texte qui est chanté va devenir flou et se mélanger dans les oreilles des auditeurs et des auditrices. Dans ces cas-là, il faut que je joue, que j'adapte ma sélection de morceaux à ces contraintes. En revanche, le côté positif, c'est que pour moi, chanter, c'est aussi faire entendre les lieux.
Lucie Chappé : Si on se concentre davantage sur les spécificités de ces deux édifices nancéiens, quand on t’a approché pour te proposer d'intervenir, qu'est-ce qui t'a intéressé? Ce sont des lieux très dissemblables, est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus?
Grégoire Ichou : Pour moi, la première chose, c'est justement le fait que les deux lieux soient très différents à la fois en termes de collections, d'histoire et d'acoustique. C'est une sorte de défi pour mes visites. Ensuite, il y a des enjeux spécifiques à chaque lieu : une des difficultés potentielles du musée de l'École de Nancy est qu’il présente essentiellement de l’art décoratif assez circonscrit dans le temps. Il fallait que je m'assure de trouver des morceaux suffisamment variés malgré ces contraintes pour créer une visite chantée qui garde l'attention du public du début à la fin. Pour l'église des Cordeliers, c’était plus familier dans la mesure où je travaille depuis des années à la basilique Saint-Denis. C'est un lieu un peu similaire en tant qu’ancienne nécropole royale. Le défi, c'était de trouver un juste équilibre avec tout de même des morceaux un peu décalés, légers, vivants, alors qu’il s’agit d'une nécropole et d'un lieu de culte.
... et des œuvres qui donnent envie de chanter!
Lucie Chappé : Parmi les œuvres du musée de l’Ecole de Nancy et celles de l’église des Cordeliers, lesquelles ont retenu ton attention ?
Grégoire Ichou : Toutes les œuvres du musée de l’Ecole de Nancy ont retenu mon attention ! Mais si je devais parler d'une en particulier, ce serait peut-être le calice Le Figuier d'Émile Gallé. Ce n'est certainement pas l'objet le plus spectaculaire du musée mais son décor rappelle l'engagement de l'artiste dans l'affaire Dreyfus, du côté des défenseurs de l’innocence du capitaine et son aspiration à une fraternité universelle. Concernant l'église des Cordeliers, ce qui m'a le plus marqué lors de ma première visite c'est la voûte à caissons de la chapelle ducale. Pour une raison simple: elle est superbe!
Lucie Chappé : Peux-tu nous présenter l’œuvre musicale que tu as sélectionné pour entrer en dialogue avec chacune de ces deux œuvres d’art ?
Grégoire Ichou : En parlant du dreyfusisme d’Émile Gallé et de son lien avec un autre Émile, Émile Zola, j'interprète justement autour du calice une des rares chansons dreyfusardes françaises. La majorité des chansons évoquant l’affaire à l’époque étaient en effet contre Dreyfus. Celle que je chante a été écrite en l’honneur d’Émile Zola à l’occasion de sa panthéonisation en 1908.
On voit, entre autres, dans les caissons de la voûte de la chapelle ducale des Cordeliers, de nombreux anges, des séraphins en prière, des chérubins portant une croix de Lorraine autour du cou… J’évoque donc en musique ces anges du XVIIe siècle en interprétant un extrait du Te deum du compositeur français Delalande écrit à cette période et dans lequel il est précisément question, en latin, de chérubins et de séraphins.
Lucie Chappé : Merci Grégoire. Nous aurons donc la joie de te retrouver en 2024 pour plusieurs représentations des visites chantées au musée de l'école de Nancy et à l'église des Cordeliers !
Pour retrouver toute l’actualité de Grégoire Ichou : https://gregoireichou.com/