In Vitraux veritas…
05/01/2024
Discussion avec Claire Berthommier, responsable des collections du musée de l’École de Nancy et la Villa Majorelle, Damien Boyer et Solenne Charret, agents techniques.
À la faveur des confinements successifs en 2020, une opération d’envergure a pu être menée au musée de l’École de Nancy, en partenariat avec le Musée lorrain : le déménagement de l’ensemble des vitraux non exposés au musée vers les réserves communes des musées de la Ville et de la Métropole de Nancy, où ce type d’objet dispose d’un espace dédié.
Un chantier toujours repoussé
Cet ensemble réunit à la fois des verrières de diverses dimensions, de quelques dizaines de centimètres à plusieurs mètres et des éléments disparates, petits morceaux descellés, bris ou encore pavés de verre architecturaux.
Les conditions n’avaient jamais été remplies depuis l’ouverture des réserves communes pour organiser ce véritable « chantier des collections », faute de disponibilité de l’équipe technique. La fermeture prolongée du musée pendant le COVID a offert une opportunité idéale : l’arrêt des activités quotidiennes habituelles a été mis à profit, de même que les espaces libérés par l’absence des visiteurs. Enfin, l’assistance et l’expertise de l’équipe de régie du palais des ducs de Lorraine – Musée lorrain, elle-même en pleine phase de déménagement des collections, ont permis de mener à bien l’opération.
Des étapes essentielles
Pendant deux semaines, les agents du service de la régie des œuvres du Musée lorrain sont venus préparer le déménagement avec les membres de l’équipe du musée de l’École de Nancy. Il a fallu tout d’abord dépoussiérer et numéroter l’ensemble des œuvres, avant de les emballer en vue du transfert, un travail long et complexe en raison de la variété des éléments, parfois encombrants, lourds ou particulièrement fragiles.
S’est ensuite posée la question épineuse du transfert en lui-même : comment déplacer des dizaines de verrières, parfois en morceaux depuis le sous-sol? comment les conditionner pour le transport ?
Vive le système D !
Les transports sont régulièrement confiés à des sociétés spécialisées qui fabriquent des caisses sur mesure. Dans le cas du chantier des vitraux du musée, impossible d’y avoir recours, dans le contexte du Covid d’une part, et en raison d’un coût très élevé d’autre part. Il a donc fallu imaginer un système facile à mettre en œuvre et économique. Damien Boyer et Solenne Charret ont donc mis au point un « brancard » composé de tasseaux de bois et de carton, où installer confortablement les vitraux le temps du transfert. Ainsi protégés, ces derniers ont pu être évacués vers les réserves, où ils ont séjourné en salle de transit, pour une quarantaine de plusieurs mois.
Offrir un meilleur accès aux collections
Ce grand déménagement avait plusieurs objectifs : offrir à ces œuvres des conditions de conservation optimum, garantissant leur intégrité, bien sûr, permettre aussi de les répertorier de manière exhaustive, et enfin, offrir un espace d’étude et de consultation pratique.
Après la quarantaine, et une phase d’anoxie pour les vitraux montés sur des châssis en bois, cet ensemble a pu prendre place dans la réserve « vitrail ». Il a fallu à nouveau faire appel à l’ingéniosité des uns et des autres pour trouver comment faire tenir tous les éléments sur les étagères. Les matériaux utilisés pour le stockage des objets d‘art doivent répondre à de nombreuses exigences, telles que la neutralité de la composition, la stabilité dans le temps… Il était indispensable de trouver un matériau à la fois léger mais résistant et solide. Le polycarbonate cannelé a d’abord été envisagé mais vite écarté, en raison de sa trop grande flexibilité. La perle rare a été finalement dénichée chez un revendeur de matériaux du bâtiment, au rayon isolation : du « thermotop », constitué de polystyrène extrudé entre deux fines lames d’aluminium, habituellement destiné à l’isolation des vérandas !
Résistant, hyper léger, et économique, le thermotop a pu être découpé aux dimensions de chaque rayonnage d’étagère. Pour éviter la dispersion de poussière de polystyrène et ne pas risquer de se couper, les bords ont été recouverts de scotch d’aluminium. Enfin, des poignées découpées dans de la sangle en coton ont été vissées solidement pour permettre la préhension des plaques.
Un grand jeu de tétris !
Dernière étape incontournable : réussir à faire tenir tous les vitraux sur les 80 plaques ! Là encore, pour optimiser chaque centimètre à disposition, les agents se sont livrés à un gros travail de disposition des éléments fragmentaires. 95 % des vitraux ont ainsi été stockés à plat, et reposent maintenant délicatement sur des feuilles de plastazote (un matériau systématiquement utilisé dans les musées), qui permettent d’amortir les écarts de niveaux et les reliefs, liés aux plombs de montage. Pour les vitraux les plus volumineux, qui ne trouvaient pas leur place sur les étagères, un chevalet à roulettes a été réalisé par l’atelier menuiserie du Centre technique municipal. Tous sont à présent facilement accessibles.
Un projet d’équipe, fédérateur et satisfaisant
Après de longs mois d’étude, de tests, puis de mise en œuvre, ce projet est une grande satisfaction pour les trois agents. Pour de nombreuses raisons comme le contexte de sa réalisation ou l’opportunité d’un travail conjoint avec le Musée lorrain, il tient de l’exception. Les compétences des uns et des autres ont été révélées et mises à profit. L’expertise partagée par la régie du Musée lorrain a été essentielle, de même que l’aide prodiguée lors du transport ou du rangement. De nombreux enseignements ont pu en être tirés dans les pratiques de régie des collections du musée de l’École de Nancy depuis l’estimation des besoins, la recherche de solutions adaptées jusqu’à l’application systématique des méthodes éprouvées et validées tout au long de ce chantier. Ce dernier se poursuivra, en interne, dans les mois à venir par l’enregistrement précis des œuvres dans la base de données du musée de l’École de Nancy et par des prises de vues additionnelles qui seront réalisées dans de meilleures conditions que celles du transfert lui-même.
Il donne aussi l’envie de poursuivre ces opérations d’envergure, d’engager d’autres rangements et réorganisations des réserves.
Enfin, il a permis de mieux connaître ce fonds, qui n’a pas forcément vocation à être exposé, mais qui apparaît comme une collection de référence sur l’activité verrière de Nancy aux XIXe et XXe siècles.